Suite à la parution du recueil Sitôt dit, en 1955, Bernard Heidsieck constate l’état moribond de la poésie, cantonnée selon lui à l’espace blanc de la page dans laquelle elle finit par se « noyer ». C’est après avoir assisté aux concerts du Domaine Musical de Pierre Boulez,où il entend notamment le Chant des adolescents de Stockhausen, puis aux performances des artistes de Fluxus au Domaine Poétique (crée par Jean-Loup Philippe et Jean-Clarence Lambert en 1961), qu’il prend conscience du « retard » de la poésie sur les expérimentations musicales et artistiques du temps. Il entreprend alors de sortir le poème de la page imprimée, et crée, à partir de 1955 ses premiers “poèmes-partitions”, avant d’utiliser le magnétophone comme principal outil de création à partir de 1959, fondant ainsi, avec François Dufrêne, Gil J. Wolman et Henri Chopin, la “poésie sonore”, c’est-à-dire, selon sa définition restreinte, une poésie faite par et pour les magnétophone qui use des moyens de l’électro-acoustique.
Cependant, au-delà de la dimension sonore, la dimension visuelle du poème prend pour Heidsieck une importance majeure : le poème, tel qu’il est conçu, trouve son achèvement sur la scène, dans le moment de sa performance. C’est la raison pour laquelle il rebaptise sa pratique, à partir de 1963, “Poésie action” :
« Ce que je cherche toujours, c’est d’offrir la possibilité à l’auditeur/spectateur de trouver un point de focalisation et de fixation visuelle. Cela me parait essentiel. Sans aller jusqu’au happening loin de là, je propose toujours un minimum d’action pour que le texte se présente comme une chose vivante et immédiate et prenne une texture quasiment physique. Il ne s’agit donc pas de lecture à proprement parler, mais de donner à voir le texte entendu. »
Poète, Bernard Heidsieck exerce également tout au long de sa carrière l’activité de banquier : il a été vice-président de la Banque française du commerce extérieur à Paris. Le lien entre les deux activités est notamment au cœur du poème-partition “B2-B3. Exorcisme” (1963) et de certains poèmes de Derviche/Le Robert.
Invité de très nombreux festivals, il a lui-même organisé le Panorama International de poésie sonore en 1976, à la Galerie Annick Lemoine (Paris), ainsi que les Rencontres internationales 1980 de poésie sonore qui se sont déroulées à Rennes, au Havre et au Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou à Paris.
Il est également auteur d’une importante œuvre plastique, avec ses planches d’“écritures-collages”, dont “Les Foules” constituent le premier ensemble, en 1970. Conçu entre 1973 et 1979, Canal Street se construit autour de la réalisation d’un ensemble de planches à partir de transistors trouvés sur l’avenue du même nom, à New York. Toujours avec le matériau “sonore”, dont des bandes magnétiques, il a également réalisé plusieurs abécédaires.
Il a reçu en 1991 le grand prix national de la poésie et été président de la Commission Poésie du Centre national du livre.
Bernard Heidsieck meurt à Paris le 22 novembre 2014 à l’âge de 85 ans.
Julien Blaine/Jean-François Bory/
Bernard Heidsieck/Joël Hubaut
3>CONTRE<1
1. Quelques poèmes métaphysique – Julien Blaine. Étienne Brunet : Clarinette basse.
2. Sisyphe (passe partout n°25) – Bernard Heidsieck. Avril 1977.
3. Mondial 98 – Jean-François Bory.
4. Big Band – Jean-François Bory.
5. PutPut – Joël Hubaut. Réalisation : Olivier Talouarn pour la Station MIR.
6. Poème métaphysique – Julien Blaine. Étienne Brunet : Clarinette basse.
7. ABC – Jean-François Bory.
8. Calmar – Julien Blaine. Musique, réalisation : Guillaume Loizillon.
9. Claustrophobie – Julien Blaine. Christine Cross : Violon.
10. Depuis le matin l’Auteur – Jean-François Bory. Thierry Müller : Piano.
Réalisation : Patrick Müller pour L’orchestre inachevé.
Production : L’orchestre inachevé, 1999.
Graphisme : Thierry Müller.
« Dans l’introduction de l’ouvrage Poésie Sonore Internationale d’Henri Chopin, William Burroughs note que “les démarcations qui séparent la musique de la poésie sont entièrement arbitraires” et que “la poésie sonore est exactement conçue dans le but de briser ces catégories, afin de libérer la poésie de la page imprimée, sans pour autant en éliminer de façon dogmatique la commodité”. On ne saurait mieux dire pour décrire le travail des quatre poètes compilés sur ce double CD pour moitié Rom. Le son des textes lus y est rendu “concrètement visible afin qu’ils soient réellement vus autant qu’entendus”.
Julien Blaine commence par expliquer qu’écrire/lire de la poésie, c’est se substituer à Dieu pour réinventer le verbe, changer l’univers, avant que Jean-François Bory ne lise les hilarants commentaires d’un match de foot où Joyce, aidé par les avants-centres Pound et Lyotard, marque un but métaphore extraordinaire contre Gide, le gardien de la poésie classique bardé de ses genoullières! Avec un humour salvateur (outre l’expérimentation sur la langue, c’est une composante non négligeable de la poésie sonore), cette bande des quatre sonde ses textes et les agite de l’intérieur avant d’en “musiquer” les mots au cours de décapantes lectures-performances.
Totalement indispensable, ce disque offre à écouter une illustration (également visuelle comme dans le film de la lecture de “Vaduz” de Heidsieck dont il existe une version phonographique chez Alga Marghen) de ce que la poésie peut donner lorsqu’elle est arrachée des mains des professeurs et des réacs. » Ph. R., Octopus